jeudi 8 mars 2012

Cloclo : sex, tics and variété


En salles : Sur le papier, Cloclo a tout du sujet casse-gueule : un biopic made in France, centré sur un chanteur de variété plus connu pour ses rengaines et ses frasques que pour ses engagements, interprété par un acteur au premier abord seulement mimétique, et réalisé par un cinéaste qu'on a un peu de mal à cerner vu sa faible production quantitative, et les multiples genres qu'il a embrassés – polar urbain, thriller social, fresque de guerre. La réussite de Cloclo n'en est que plus éclatante, car inattendue.

Rénier : le DiCaprio européen ?

Tout d'abord, tuons le sujet dès à présent : oui, Jérémie Rénier doit son rôle à sa ressemblance frappante avec Claude François. Mais le chanteur doit désormais à l'acteur une reconnaissance éternelle en l'ayant réincarné : l'investissement physique et psychologique de Jérémie Rénier est tel qu'on a l'impression de le voir revivre. Et ce sans excès Actors Studio. Et ce, dans toutes les facettes du personnage, les plus solaires comme les plus névrotiques. Bref, c'est notre Leonardo DiCaprio à nous.

Car à bien y regarder, Cloclo se veut une sorte de clone d'Aviator, de Martin Scorsese. De même que le magnat hollywoodien y apparaissait sous ses traits les moins reluisants, le chanteur y apparaît également comme un être névrosé, narcissique, ambitieux, compulsif, obsédé sexuel, bourré de tics et de tocs, paranoïaque, jaloux, envieux du succès des autres. Et même carrément psychopathe – cf la scène où il percute volontairement par l'arrière le véhicule de la future mère de ses enfants. Portrait à charge, donc ? Pas seulement : car toute l'intelligence du scénario consiste à restituer la magie Cloclo : un mélange de charisme et de névroses, de grandeur et de médiocrité. Bref, un môme éternellement insatisfait, en quête perpétuelle d'amour et incapable d'en donner.

Florent-Emilio Siri : the right man !

D'où un portrait tout en nuances, sur un personnage finalement beaucoup moins lisse et plus intéressant cinématographiquement qu'on ne pouvait le penser. Et qu'on finit par aimer. Et pour transcender un tel tissu de contradictions faites homme, il fallait un cinéaste capable de  déployer une mise en scène qui épouse les différents aspects du personnage et de sa carrière. Florent-Emilio Siri était the right man at the right place.

En un peu moins de 5 films en 15 ans et une quarantaine de clips video, il est parvenu à s'imposer dans chacun des genres qu'il a abordés – notamment Nid de Guêpes, sommet du polar urbain à la Carpenter made in France, et L'Ennemi Intime, le film ultime sur la guerre d'Algérie, qui n'a malheureusement pas rencontré le succès public qu'il méritait.

Après un premier tiers à la fois convenu, sans histoire, et même un peu poussif – à l'instar du début de carrière de Claude François, classique, dominé, vu (et rebattu !) par l'ombre paternelle de l'interdit, inscrit dans une époque, celle des yéyés, heureuse et indolore, car sans enjeu – le film fait alors preuve d'une ambition narrative et cinématographique suffisamment rare dans le cinéma français pour ne pas être saluée.

Sous influence Boogie Nights

Avec pour modèle évident – il y a pire ! - Boogie nights de Paul Thomas Anderson. Mise en scène, schéma narratif, profusion des personnages, toute la mise en scène semble directement inspirée de la fresque porno du futur réalisateur de Magnolia (tiens !). Autant dire que c'est jouissif ! Jusqu'à y épouser une mise en scène similaire : longs plans séquences (piscine party dans sa résidence secondaire, 1er Olympia), split screens, montage mêlant images d'archives avec images de fiction. 

Pas d'esbroufe ou d'effets de style gratuits : juste une manière cinématographique pour mieux restituer le rythme effréné dans lequel s'enferme alors l'idole des midinettes : une course en avant vers la gloire, les filles et le fric. Et quand ralentit le tempo, c'est pour mieux faire durer un suspense connu d'avance – cf la scène de douche finale, directement dans les annales du genre – ou bien dépeindre un trait de caractère – cf anecdote sur le parolier Etienne Roda-Gil.

Une réalisation jouissive

Bref, vous irez voir Cloclo. Parce que c'est loin d'être un biopic  classique : ni portrait à charge ni hagiographie, ni chute ni rédemption, ni drogue ni alcool. Parce qu'outre la confirmation éclatante Jérémie Rénier, il permet de découvrir des acteurs encore peu vus, notamment la formidable Monica Scattini dans le rôle de la mère du chanteur.

Parce que Florent-Emilio Siri s'impose comme un très grand réalisateur, bourré d'idées puisées au meilleur du cinéma américain (on pourrait également citer Michael Mann, notamment à propos d'une scène magistrale où alors qu'il découvre la version Sinatra de Comme d'habitude, Claude François effectue alors un voyage mental à travers le temps et l'espace, tel Russel Crowe dans Révélations), à même de dominer un sujet aussi ample et casse-gueule que celui-là (chapeau aux décors et à la lumière !).

Vous n'appréciez pas le chanteur ? Vous apprécierez le film ! Si, si, je vous assure. La preuve ? Je me suis précipité sur une playllist Claude François sur Spotify en sortant de projection...

Travis Bickle

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