mercredi 10 octobre 2012

Insensibles : ce passé si mal enfoui…


En salles : C’est à ça qu’on les reconnaît : ils osent tout. Qui ? Les cinéastes espagnols ! Après Victor Erice et son Esprit de la Ruche et Alex de la Iglesia et Balada Triste, film resté trop inaperçu malgré sa sélection vénitienne en 2010, Juan Carlos Medina signe avec Insensibles un premier film in-cre-ible dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Œuvre qui vient gratter là où ça fait mal, là où aucun cinéaste français n’a osé s’aventurer : l’évocation des heures sombres de son pays – ici, l’Espagne franquiste - à travers un pur film de genre, entre thriller et fantastique.


En tissant deux fils narratifs distant de plus de 80 ans, - l’internement d’enfants atteints d’insensibilité dans l’Espagne pré-franquiste d’Alphonse XIIII, et la quête d’un neuro-chirurgien à la recherche de ses ancêtres, potentiels donateurs de moëlle épinière et susceptibles de lui sauver la vie, dans l’Espagne contemporaine – le film avance à double sens, temporel et symbolique. Et à la quête d’un homme vers ses origines se superpose la remontée progressive d’un passé national imparfaitement enfoui.

Parabole tripale entre thriller et fantastique

Parabole, certes, mais qui n’a rien de lourdingue ou de souligné. Car le récit emprunte la voie des deux genres les mieux à même d’incarner cette double thématique : le thriller et le fantastique. D’où l’instillation d’une tension constante que les aller-retours entre passé et présent n’altèrent en rien au contraire. Tel des aveugles, nous, spectateurs, sommes à l’image du héros tatonnant peu à peu, revisitant viscéralement et physiquement le passé de l’Espagne franquiste, jusqu’à une révélation finale aux allures de catharsis individuelle et collective. Car le film ne dit pas autre chose que ce que des centaines de sociologues, historiens ou psychanalystes nous ont appris : un pays, comme un individu, doit regarder sa propre vérité, frontalement.

Sommet de puissance et de lyrisme

Mise en scène viscérale et tripale, montage brillantissime qui nous fait passer sans heurt d’une époque à une autre (à l’instar d’un prologue fulgurant), cohérence graphique aux tonalités bleutées et métalliques pour le présent, noires et sombres pour le passé, Insensibles marcherait dans les pas d’Erice qu’on en serait très heureux. Mais à travers le personnage de Berkano, figure du passé horrifique mal enfoui, Medina atteint des sommets de puissance et de lyrisme. A l’image d’un final fulgurant, à la triple puissance visuelle, poétique et thématique rarement atteinte.

Collectif européen pour récit bien espagnol

Coup de force donc pour un premier film bien ancré dans la réalité espagnole, d’autant plus impressionnant qu’il résulte d’un collectif européen. Car pour évoquer le passé mal enfoui de l’Espagne franquiste, qui de mieux qu’un cinéaste franco-catalano-espagnol, un co-producteur français,  - l’ancien de feu Starfix François Cognard - un acteur islandais – Tomas Lemarquis, aussi impressionnant et singulier qu’il l’avait été dans Noi Albinoi, il y a de cela 10 ans ! – un autre acteur néerlandais – Derek de Lint, vu notamment chez Paul Verhoeven – un compositeur suédois – Johan Söderqvist, auteur de la très étrange BO de Morse

Travis Bickle

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