mardi 17 septembre 2013

Elle s’en va : road movie à la française pour Deneuve



En salles : A l’inverse de leurs collègues américains, pas facile pour les cinéastes français de filmer leur pays, la France, dans sa dimension spatiale, géographique, sociologique. Et cinématographique. Récemment, seuls peut-être Patrice Leconte – Tandem – Bertrand Blier – Notre histoire – Mathieu Amalric – Tournée – ou dans un tout autre genre Raymond Depardon – Journal de France - étaient parvenus à capter le pays dans son éternité et son étrangeté. Il faudra désormais y ajouter Elle s’en va, réussite totalement inattendue que l’on doit à Emmanuelle Bercot. Inattendue, parce que la cinéaste nous avait plutôt habitués à un univers feutré, souvent en huis clos, dans lesquels les pulsions de vie et de mort s’affrontaient, se jouxtaient, s’étouffaient – Clément, La Puce, Backstage.



Le contrepied de la méthode

Et là, la cinéaste fait tout le contraire. Comme si elle se lançait un défi, prenait l’exact contrepied de sa méthode : filmer un seul personnage sur la route, en fuite. Comme dans un road-movie. Et qui dit road-movie dit mouvements, espaces. Bretagne, Limousin, Alpes, Ain constituent les principales étapes de ce périple, qui arpentent les départementales, nationales et autoroutes. Motels, palaces, restaurants, stations-services, fermes, bords de routes, magasin de meuble, maisons de campagne, no man’s land pavillonnaire, bornent ce périple d’une femme en plein burn out, et qui se retape auprès de son petit-fils, de ses amies perdues et d’une nouvelle famille. Parcours qui sort tout droit du cinéma américain – ne pas penser, mais on le fait quand même ! - à 5 pièces faciles, de Rafelson, ou Une histoire vraie, de Lynch. Et qui contamine même sa mise en scène : adepte des plans séquences, - on en compte ici 2, dont un bluffant ! - la cinéaste privilégie ici le mouvement, un découpage serré. Et ose même les plans larges, magnifiés par son chef op Guillaume Schiffmann : une marée basse, un champ labouré par son cultivateur, un palace sur le bord du lac d’Annecy.

Catherine Deneuve en liberté

Et puis, il y a Catherine Deneuve. Non qu’avec ce rôle magnifique de Bettie elle casse son image – c’est fait depuis longtemps, lorsqu’il s’agissait pour elle de jouer à la fois chez Bunuel, Demy, Polanski, Rappeneau, Dupeyron, Téchiné ou même Gaël Morel, le protégé de Téchiné. Non, là, ce qui sidère, c’est sa totale liberté par rapport à son image – elle fume, elle boit, elle danse, elle s’écroule, elle vieillit, elle se relève, elle se maquille, elle s’habille comme tout un chacun, elle porte une perruque de drag-queen – sans aucune retenue, sans se ménager ni s’apesantir sur elle-même. On sent que le film a été fait pour elle. Et il faut dire qu’Emmanuelle Bercot lui porte un magnifique regard. Sans ménagement, certes, mais avec beaucoup d’admiration. C’est patent à travers ses plans serrés où l’actrice apparaît de dos, le regard perdu. Ou bien à travers ses très discrètes allusions à son passé de comédienne – là, quelques notes de musique évoquent Michel Legrand ; ici, un pont nous rappelle le transbordeur charentais sur lequel s’ouvrent Les Demoiselles de Rochefort ; ou bien cette station-service ravive le souvenir du méconnu et génial Drôle d’endroit pour une rencontre, tandis que le déjeuner final, rassemblant toutes les générations, d’inspiration – allez, osons-le ! – renoirienne nous évoque le dîner central du Lieu du crime de Téchiné.

Bref, rarement vu une actrice de la trempe de Catherine Deneuve se laisser aller à une telle liberté, dans une telle joie. Rarement on l’aura vue autant rire, mordre la vie. A l’instar de la scène qui la voit face à un paysan lui rouler une cigarette, avec difficulté, interminablement. Et elle d’entamer une discussion sur la gelée, les hirondelles, le temps qui passe, comme dans un documentaire. Drôle, magique et inattendu.

Casting inattendu : Claude Gensac et Gérard Garouste !

Sentiment de liberté que renforce le casting. Peu de noms connus, ou qui n’avaient jamais tourné avec l’actrice : Claude Gensac – oui, Edmée, l'épouse de Louis De Funès dans Oscar !! – dans le rôle de sa vieille mère, tendre et bourrue ; la chanteuse Camille, au phrasé si saccadé, dans le rôle de sa fille ; Mylène Demongeot, Evelyne Leclercq et Valérie Lagrange, ex-stars déchues en ex-miss Beauté des années 60 ; ou le propre fils d’Emmanuelle Bercot, dans le rôle du petit-fils de Bettie. Et surtout Gérard Garouste, l’artiste fou, au passé psychique complexe, qui impose ici sa silhouette massive et ombrageuse de Sam Shepard français. Et qu’on a très envie de revoir.

Travis Bickle


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