lundi 25 novembre 2013

Fanny et Alexandre : enfin en Blu-ray !!


En DVD et Blu-ray : Il est des films dont il est très difficile de parler. Parce que mythiques, inaccessibles, bigger than life. Qui vous accompagnent toute une vie. Il était une fois en Amérique, Apocalypse Now, Barry Lyndon, Heaven's Gate, Gens de Dublin, Huit et demi, L'Eclipse ou Love Streams en font partie. Et Fanny & Alexandre. Enfin en DVD & Blu-ray, dans une édition complète, qui rassemble la version cinéma ET la version TV !


Car bien avant Jane Campion, David Fincher ou David Lynch, et contrairement à son alter ego italien Fellini, le maître suédois Ingmar Bergman avait tout compris : seule la télévision pouvait lui permettre de mener à bien un projet aussi ambitieux, riche en personnages et intrigues, aussi personnel en notations biographiques, aussi audacieux sur le plan de l'écriture. 


Petit rappel : nous sommes alors au début des années 1980, où  la TV est considérée comme une ennemie plutôt qu'une alliée du cinéma ! C'est dire le côté visionnaire du cinéaste. Qui s'il a toujours préféré la version cinéma a néanmoins écrit, conçu et tourné sa fresque en tenant compte des spécificités des deux médias. D'ailleurs, la TV le lui a d'ailleurs bien rendu. Exemple parmi d'autres : impossible que les auteurs d'une série comme Six Feet Under ne se soient pas inspirés de la somme bergmanienne dans sa façon de faire cohabiter vivants et morts, humains et fantômes dans le même plan, la même séquence...

Vivre sereinement avec la peur

Alors, c'est quoi, Fanny & Alexandre ? Six heures de projection intense, magnifiées par la lumière de Sven Nykvist – 20e collaboration avec le cinéaste, véritable co-auteur du film - , des éclairages artificiels du théâtre à la froideur du presbytère, en passant par la chaleur de la lumière estivale des résidences secondaires, ou l'intensité foisonnante des décorations de Noël, tout le film baigne dans une nostalgie heureuse, sereine , celle d'un artiste réconcilié avec ses peurs, ses névroses, ses souvenirs et son enfance. Ce qu'il avait résumé lui-même lors de la projection du film version TV à Venise en septembre 1983 : "J'aime la vie, les femmes, le vin, la nourriture, la musique, la nature. Mais je suis né aussi avec quelque chose d'autre. Depuis ma plus tendre enfance – j'en ai des souvenirs très vivaces, cela n'a rien à voir avec mon éducation – je vis avec la peur".

Seul film du cinéaste filmé du point de vue de l'enfance, Fanny & Alexandre a été tourné à Uppsala, berceau de la famille de Bergman. Sept mois de tournage, énorme super-production, la saga se subdivise en 3 parties : le temps de l'allégresse et la joie du théâtre, de la famille et de Noël ; le temps de la rigueur, de la morale et de l'apprentissage de l'injustice ; enfin, le temps de l'apaisement, de l'intégration des peurs et des névroses, de l'acceptation de la mort. Trois mouvements qui s'incarnent dans le destin d'Alexandre, alter ego du cinéaste en jeune homme, légèrement décalé par rapport à la propre enfance du cinéaste. 

Double sceau

Au-delà de sa dimension autobiographique, la saga passionne par ses dimensions sociologique et historique, véritable peinture de la Suède au tournant du XXe siècle : culture patriarcale bourgeoise, qui s'appuie sur la religion, la famille libérale et un certain sens de la rébellion, en voie de disparition. Bref, un étourdissant film-somme, placé sous le sceau des deux maîtres de l'illusion théâtrale, Shakespeare et Strindberg, à la fois roman familial, récit d'initiation, conte, saga historique à la Thomas Mann, où l'on retrouve toutes les obsessions du cinéaste condensées et apaisées. Le digest de son oeuvre, absolument magnifiée par une mise en scène souveraine, dans son naturalisme et ses effets artificiels, dans son ampleur épique et son attention aux conflits intimes et existentiels.

Si vous ne deviez voir qu'un seul Bergman dans votre vie – et je vous souhaite d'en voir bien plus ! - sans hésiter, commencez par cette saga – de préférence par la version TV, à mon sens la plus riche et la plus complexe. A glisser sous tous les sapins, donc.

Passionnant making of

Gaumont, éditeur de cette splendide édition, co-producteur du film du temps des années Toscan du Plantier, a mis le paquet. Car outre les deux versions cinéma et TV du film de Bergman, vous y trouverez de très nombreux bonus :

- un entretien avec Olivier Assayas, un peu décevant, étant donné la maîtrise qu'a le cinéaste français du grand maître suédois – alors critique aux Cahiers du Cinéma, il lui avait consacré un remarquable livre d'entretiens, Conversations avec Bergman.

- un documentaire anglo-saxon, avec quelques témoignages intéressants, dont celui d'Ewa Lowling, l'actrice incarnant a mère de Fanny & Alexandre.

- surtout, un passionnant making of supervisé et monté par Bergman himself. Où l'on découvre un bonhomme à l'exact opposé de l'image véhiculée par ses films : un artiste affable, non dépourvu d'humour, plein de patience à l'égard de ses acteurs, des plus rompus aux plus jeunes, attentif à son environnement (il faut le voir dans les rues d'Uppsala pour y croire). Et surtout s'y révèle avec éclat la nature de sa collaboration avec son chef op Sven Nykvist : celle d'un complice, véritable co-auteur du film, et dont la copie restitue avec éclat le travail (magnificence des rouges de Noël, crudité blâfarde de l'austérité du presbytère) S'y révèle aussi une méthode de travail, faite à la fois d'intransigeance sur la connaissance des dialogues et de profonde empathie à l'égard de sa troupe d'acteurs.
 
Travis Bickle

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