vendredi 21 février 2014

Warren Beatty : retour sur une énigme


Artistes : A l’occasion de l’édition en DVD de Lilith et de Mickey One par WildSide (lire notre chronique : Lilith, diamant noir pour canapé), revenons sur la carrière de Warren Beatty

Star adulée aux Etats-Unis, plus connue pour ses frasques sexuelles et ses conquêtes féminines (entre autres, Nathalie Wood, Jean Seberg, Brigitte Bardot, Faye Dunaway, Goldie Hawn, Julie Christie, Diane Keaton !) que pour ses talents d’acteur-réalisateur, très mal connue en France – hormis Bonnie & Clyde, tous ses films y ont été des échecs commerciaux – il demeure une énigme. Enigme en tant qu’acteur : biberonné aux techniques de l’Actors Studio, son jeu évolue peu à peu pour devenir proche de celui d’un Robert Redford, plutôt behavioriste. Enigme, encore, car il s’est toujours plu à interpréter des rôles aux antipodes de l’image publique qu’il a toujours véhiculée – homme à femmes, engagement du côté des démocrates. Enigme, enfin, quant à sa fin de carrière, brutalement interrompue à l’orée du XXIe siècle, concomitante d’un mariage avec l’actrice Annette Bening. 

A la revoyure, une carrière d’une densité et d’une cohérence rares, faites de projets ambitieux et audacieux, dans lesquels l’implication de Warren Beatty s’est avérée sans faille, que ce soit au titre d’acteur, de réalisateur ou de producteur – il a produit presque tous les films qu’il a réalisés. Une manière de contrôler son image et sa carrière, à l’instar d’une de ses idoles, le milliardaire Howard Hugues. Retour en arrière !


La Fièvre dans le sang (1961) : peut-être le chef-d’œuvre d’Elia Kazan ? Une ode à la jeunesse, sur une intrigue qui peut rappeler celle de Roméo et Juliette pendant la Grande Dépression. Le jeune couple à l’union impossible, c’est Warren-Beatty-Nathalie Wood. Bouleversant. Le premier rôle marquant de l’acteur.

Lilith (1964) : nous en avons dit tout le bien qu’on en pensait tout récemment. Auréolé du succès remporté par La Fièvre dans le sang, Warren Beatty enchaîne les choix audacieux, sans succès public à la clé (le Rossen, donc, mais aussi Mickey One, d’Arthur Penn, ou L’Ange de la Violence, de John Frankenheimer).

Bonnie and Clyde (1967) : dans son rôle le plus célèbre, l’acteur explose aux côtés de Faye Dunaway, sous l’œil d’Arthur Penn. La destinée d’une bande de braqueurs pendant la Grande Dépression. Boîteux, impuissant, il forme un couple inoubliable avec Faye Dunaway, avec laquelle il ne s’entendait guère. Carton commercial et critique qui inaugure ce qu’on appelle le Nouvel Hollywood.

John McCabe
(1971) : l’un des secrets les mieux gardés de la carrière de Robert Altman. Western sous la neige, ironique et élégiaque, sur un score composé par Leonard Cohen. Dans le rôle-titre, barbu, toujours vêtu d’un long pardessus, Warren Beatty casse son image. A ses côtés, la très belle Julie Christie, sa conquête féminine du moment.

A cause d’un assassinat (1974) : le sommet de la trilogie paranoïaque d’Alan J. Pakula. Dans le rôle du nobody impuissant à endiguer les forces complotistes à l’oeuvre autour de lui, Warren Beatty va à contre-courant de son image de golden boy à qui tout réussit. Un des films essentiels du cinéma américain des années 70 signé Alan J. Pakula, qui n’est pas sans rappeler par son atmosphère kafkaïenne les meilleurs Rosi, Cadavres exquis en particulier.

Shampoo (1975). L’un des meilleurs films de son réalisateur, Hal Ashby. Et dans lequel Warren Beatty joue à fond de son image d’homme à femmes, dans le rôle d’un coiffeur qui, en l’espace de 24 heures, remet en cause son statut, son métier et sa carrière. 24 heures bien précises : celle qui précèdent l’accession de Richard Nixon à la présidence américaine. L’un des films emblématiques du Nouvel Hollywood (insolent, foutraque et désenchanté), avec une BO dans laquelle figure un morceau interprété par les Beatles.

Le Ciel peut attendre (1978). Pour sa première réalisation, Warren Beatty choisit de moderniser un classique de la comédie américaine, Le défunt récalcitrant (1941) avec Robert Montgomery, en reprenant le titre d’un fleuron de Lubitsch ! Lourd héritage pour ce film pas déshonorant, mais dont on peut s’étonner de la pertinence. Gros succès au BO aux Etats-Unis, gros bide en France, as usual…

Reds (1981) : à contre-courant du reaganisme triomphant. Une fresque sur la Révolution soviétique, vue par le seul Américain habilité à y participer, John Red, incarné par l’acteur, et sa compagne, interprétée par sa nouvelle conquête, Diane Keaton. Passionnante fresque qui mêle reconstitution historique, histoire d’un couple et témoignages de communistes américains. 3 Oscars, dont ceux de meilleur réalisateur pour Warren Beatty, et meilleure photo pour Vittorio Storaro.

Ishtar (1987) : l’un des plus gros échecs commerciaux – et artistiques ! – de l’histoire du cinéma. Qui marque la fin du star system aux Etats-Unis. Dotée d’un budget pharaonique, cette comédie d’espionnage romantique signée Elaine May, défraie la chronique par les multiples problèmes et retards pendant le tournage et la post-production.

Dick Tracy (1990) : adaptation inspirée du comics américain dont l’action se situe pendant la Prohibition. Warren Beatty réalisateur y fait preuve d’une approche constamment inspirée, stylisées et fantasmagorique. Forte tonalité théâtrale et artificielle renforcée par un tournage en studio, et les sublimes effets de lumière de Vittorio Storaro. En plus, un casting ébouriffant – outre Beatty, on y retrouve Madonna, Dustin Hoffman, James Caan, Paul Sorvino, Seymour Cassel, tous grimés à l’instar de leurs personnages dans la BD. Sans oublier un Al Pacino déchaîné et fascinant, qui rappelle aussi bien Richard III, Scarface que Joe Dalton ! Son meilleur film ? En tout cas, il jouit d’une réputation bien inférieure à celle qu’il mériterait d’accéder.

Bugsy (1992) : biopic du mafieux Bugsy Siegel, l’un des fondateurs de Las Vegas. Sur un remarquable scénario signé James Toback – par ailleurs réalisateur de Fingers, l’original américain qui donnera lieu au remake français De battre mon cœur s’est arrêté – Bugsy livre le portrait ambigu d’un être hyper-violent, psychotique, mais constamment séduisant. Très belle reconstitution, très belle interprétation de Warren Beatty, nommé à l’Oscar, et beau casting – Annette Bening, Harvey Keitel, Ben Kingsley, Elliot Gould. L’un des meilleurs films de Barry Levinson.

Love Affair (1994), de Glenn Gordon Caron. Remake du chef d’œuvre de Leo Mccarey Elle et lui, censé sceller artistiquement l’idylle qui unit l’acteur à sa nouvelle compagne, et désormais épouse, Annette Bening. Four commercial aux Etats-Unis, le film ne sort même pas en France, du fait de la faible popularité de l’acteur.

Bullworth (1998) : c’est LA curiosité de sa filmographie, sorte d’autoportrait de Warren Beatty en burn out complet. Dans le rôle d’un homme politique qui décide de briser tous les tabous et d’évacuer toute langue de bois, l’acteur semble faire une sorte de burn out complet. A la fois satire du monde politique, c’est aussi le portrait d’un homme qui essaie de se réinventer. Pas toujours réussi, mais vraiment original. Symptomatiquement, il s’agit là de son dernier film en tant qu’acteur-réalisateur.

Et depuis ? Mis à part 2-3 apparitions sans importance, aujourd’hui âgé de 77 ans, Warren Beatty semble s’être rangé des affaires. Mari comblé, père comblé – 4 enfants – quelques refus de rôle incompréhensibles – Tarantino lui a proposé le rôle de Bill dans Kill Bill – Warren Beatty n’apparaît plus. Ni au cinéma, ni dans les gazettes. Reclus, à l’instar de son idole Howard Hugues ? Une rumeur persistante l’attache ces derniers mois à un projet de biopic consacré au fameux milliardaire... A suivre !
 

Travis Bickle

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