mardi 30 septembre 2014

Mommy : torrents d'amour


En salles : Mes vœux auraient-ils été entendus ? Allez, soyons aussi immodestes que Xavier Dolan et citons-nous, cela n'arrive pas si souvent ! Voici par quoi je concluais ma critique de l'agaçant mais classieux Amours imaginaires en octobre 2010 : "Xavier, on sait que t’es un grand. J’ai tué ma mère m’a impressionné par son mélange d’humour et de férocité, de tendresse et de violence. Bluffant et audacieux. Alors, s’il te plaît, la prochaine fois, s’il te plaît, ne te blinde pas derrière tes références, et filme-nous non des amours imaginaires, mais de vraies amours qui nous emportent, nous émeuvent et nous bouleversent". Il y aura eu le détour – raté – de Laurence Anyways et celui, négocié avec beaucoup de réussite de Tom à la ferme, intriguant par son sens narratif et son suspense psychologique.
Avec Mommy, Dolan a secoué le Festival de Cannes 2014. Ses propos – préparés pour une Palme d'or qu'il rêvait de décrocher – ont envahi d'émotion une cérémonie de clôture très apprêtée. Et Mommy bénéficie d'une cote d'attente rarement vue pour un film d'auteur, canadien qui plus est. Alors, c'est quoi la magie Mommy ? En quoi le jeune prodige de 26 ans aurait cette fois-ci réussi son coup, rassembler les cinéphiles les plus exigeants et le grand public, critiques et allergiques à Dolan ?


Morceaux bruts d'émotion
Avec son cinquième long métrage en cinq ans, Xavier Dolan a trouvé le ton tumultueux qui s'accordait parfaitement à son sujet – tourbillonnant. En résumé, les relations électriques et chaotiques de Steve, un ado souffrant de troubles d'hyper-activité, avec sa mère Diane – ou plutôt D.I.E – excentrique, bulldozer de vivacité, qui fait feu de tout bois. Duo borderline auquel s'ajoute une voisine, Kyla, réfugiée dans un mutisme qui, en tant que catalyseur va peu à peu se révéler et nous dévoiler les multiples facettes de ce duo. Trame très psychologique, complètement anéantie par une réalisation qui va tout donner pour se libérer de son schéma initial. Et livrer des morceaux bruts d'émotion, libérer de véritables torrents d'amour, entre une mère et son fils, entre une femme et une famille d'adoption. Et que la société réprouve. Cassavetes n'est pas loin...
Réalisation virtuose et audacieuse
Là où ses opus précédents pouvaient agacer en raison d'un amas de références cinéphiliques mal digérées, Mommy se situe à l'opposé. Certes, on pourra toujours penser fortuitement à Gus van Sant pour les virées en skate, ou à Sirk pour la description crépusculaire d'une banlieue pavillonnaire. Et à bien d'autres – Truffaut, Godard, Wong Kar Wai, Almodovar... Mais là, Dolan, réalisateur, scénariste, monteur, créateur des costumes, et même acteur – quelques minutes intenses cette fois-ci – magnifie son sujet par son inventivité formelle. Ralentis, accélérés, panoramiques, variété des cadres, multiplication des axes, autant de procédés qui sont au diapason des relations de ce trio hors-normes. Mieux : le choix du format carré .1.1 traduit la volonté du cinéaste de nous concentrer sur les personnages et de nous faire ressentir l'état de claustration dont ils sont objets et victimes. Heureux procédé qui se complète à deux reprises  d'un élargissement du cadre au scope, à deux moments-clés de l'intrigue, deux moments de liberté retrouvée. Signalons également l'apport considérable du chef op André Turpin (troisième collaboration avec Xavier Dolan), qui vient donner un contre-point chaleureux et solaire à un univers plutôt sombre et dépressif.
Instinct musical
Franchement, pensiez-vous un jour être ému aux larmes par du Céline Dion ? Eh bien, Xavier Dolan l'a fait ! Courez le voir pour le vivre, dans une scène insensée de danse à trois dans une toute petite cuisine... Pour décupler l'émotion de ces quelques jours de parenthèse enchantée, rien de mieux qu'évoquer un paradis perdu à travers quelques airs populaires : Wonderwall d'Oasis, Andrea Bocelli ou Counting Crowes. Ou un superbe vrai-faux flashforward sur Experience, le morceau au piano de Ludovico Einaudi, à faire chavirer d'émotion les plus irascibles à l'univers de Dolan.
Direction d'acteurs hors pair
La grande réussite de Mommy, c’est enfin sa direction d’acteurs hors pair de Dolan. Un tel sujet aussi émotionnel aurait facilement pu voir certaines scènes déraper, dérailler, déborder dans l'excès. Tout d'abord, Anne Dorval, dans le rôle de la mère, Diane, sorte d'Erin Brokovich canadienne, livre une performance explosive, digne d'une Gena Rowlands. Incompréhensible que le jury cannois ne l'ait pas récompensée. Plus en retrait, Suzanne Clément, joue sa partition de voisine bègue, avec beaucoup de finesse et d'émotion. Enfin, Antoine-Olivier Pilon, déjà aperçu dans le clip polémique College Boy, du groupe Indochine, dont Xavier Dolan avait assuré la réalisation, livre pour son premier rôle dans un long-métrage, une composition électrisante.
Bref, une œuvre à fleur de peau, sidérante d'émotion, d’un optimisme à tout crin, à propos d’une famille composée et recomposée qui fait fi des lois sociales. Pour mieux s'aimer. Pour mieux confondre les sceptiques, même si "ce n'est pas parce qu'on aime quelqu'un qu'on pourra le sauver". Salutaire, culotté et grandiose !


Travis Bickle

1 commentaire:

Dom a dit…

Tiens, c'est vrai que le film est en 1:1, mais je l'avais vécu autrement, verticalement !
J'ai hâte de le revoir depuis son passage à Cannes, plus que quelques jours.