mercredi 15 octobre 2014

White Bird : le beau blizzard


En salles : De Gregg Araki, on connaît le goût pour le pop, le déjanté, le foutraque. Et la description de l'état d'adolescence, comme un champ des possibles hanté par la catastrophe. Doom Generation, Nowhere ou bien plus récemment Kaboom en sont les exemples les plus marquants. Dans sa filmographie brillait d'un éclat particulier un joyau noir, Mysterious Skin (2004), qui outre Joseph Gordon Levitt, avait marqué les rétines par son sens visuel, sa poésie et sa noirceur. Un univers romanesque – celui de Scott Heim – dans lequel Gregg Araki avait trouvé une nouvelle source d'inspiration. Et depuis ? Retourné au ronron de ses chroniques pop adolescentes, on l'avait un peu oublié. Jusqu'à ce très troublant White Bird. La raison de ce retour au premier plan ?


Matière romanesque

Tout comme pour Mysterious Skin, Gregg Araki s'appuie sur un matériau romanesque – en l'occurrence celui de Laura Kashishke, sorte de Joyce Carol Oates contemporaine, qui vient gratter les plaies adolescentes féminines, dans une Americana délabrée et laissée à elle même. Là, même si le cinéaste déplace l'action en Californie, il y dépeint les tourments d'une adolescente face à l'éveil de sa sexualité et au mystère qui entoure la disparition subite de sa mère. Matériau riche en rebondissements et en suspense qui permet au cinéaste de maintenir constamment en éveil son spectateur sans le perdre dans des digressions pop, qui rendaient parfois pénibles les films qui ont assuré sa célébrité.

Eva Green, entre Nicole Kidman et Julianne Moore

C'est l'occasion pour Gregg Araki de s'inscrire dans une filiation, celle des Douglas Sirk et Todd Haynes, peintres d'une Amérique des suburbs, de ses automnes mélancoliques, de ces personnages féminins qui livrés à eux-mêmes découvrent l'inanité de leur existence. Là, c'est Eva Green qui se love dans un rôle à contre-emploi total de sa filmographie, celui d'une Bovary californienne, délaissée par son mari, anéantie sous le poids de la médiocrité de son existence. A la fois clone de Nicole Kidman et de Julianne Moore, elle trouve là son meilleur rôle.

Tout contre David Lynch et Douglas Sirk

Ne serait-ce que cela, on serait déjà heureux de tomber sur cette peinture à la manière de Sirk. Mais la force de la réalisation de Gregg Araki tient à sa capacité à créer une atmosphère constamment onirique, cotonneuse et irréelle. Et quasi-fantastique : les rêves s'immiscent dans la réalité la plus crue, sans fondu au noir ; les sons et les couleurs saturées participent de l'état de somnambule et de claustration dans lequel baigne l'intrigue. Et qui rappelle parfois l'univers de David Lynch. Coïncidence ? Lorsqu'apparaît Sheryl Lee, c'est le fantôme de Laura Palmer qui surgit, sorti des limbes de notre inconscient collectif télévisuel.

Loin d'abandonner ses sujets fétiches, Gregg Araki trouve l'occasion de les sublimer, de les rendre universels, attachants et poétiques.  Jeunesse au bord du gouffre, discussions sans fin sur un ailleurs, peintre de la vie estudiantine, il trouve là le matériau idéal pour satisfaire ses fans de la 1ère heure, la mélancolie et la poésie en plus. Dans le rôle principal, Shailene Woodley surprend par sa capacité à densifier un personnage catalyseur, petit oiseau blanc perdu dans le blizzard de son existence pas encore accomplie. Face à elle, on trouve Shiloh Fernandez, bad boy érotisé par la caméra de Gregg Araki, Christopher Meloni – Oz, New York Unité spéciale - en père apparemment dépassé par les événements, Angela Basset en psy compréhensive mais à côté de la plaque.

Le meilleur des eighties

Enfin, White Bird n'aurait pas ce charme si particulier sans l'autre marotte du cinéaste : les années 80 et leur musique. En situant son intrigue à la fin des eighties, en 1988, le réalisateur truffe sa BO de la crème de la crème de la musique de l'époque, de New Order à The Cure, en passant par Tears for Fears et Depeche Mode. Autre manière pour le cinéaste de napper d'irréel un univers prosaïque, et de touches personnelles un univers romanesque a priori éloigné de lui.

Eighties, adolescence, drogue, sexe et Depeche Mode, faillite des adultes, Californie de pacotille, milieu étudiant : et si Gregg Araki tentait un jour d'adapter Bret Easton Ellis ?

Travis Bickle





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