mardi 3 février 2015

Francis Coppola : "Avec Internet, il n'y a plus de différence entre la salle, la TV et l'ordinateur"


Artistes : Samedi 31 janvier, 13h30, salle Henri Langlois bondée pour assister à la master class de Francis Coppola à la Cinémathèque. Costume gris, chemise jaune, cravate bariolée, chaussettes bleues à pois blanc, le maestro, volubile, pas avare de ses propos, exaltant, une heure durant, raconte l'aventure Zoetrope, sa tentative – ratée – de damer le pion aux grands studios hollywoodiens et de révolutionner le cinéma.



Après la projection d'un court métrage de 15 minutes de deux chercheurs néerlandais Paul Cohen et Franck Scheffer consacré à l'expérience Zoetrope, Zoetrope Peple, et tourné sur les lieux-mêmes, San Francisco, en 1980, Francis Ford Coppola détaille les deux objectifs qu'il avait assignés à Zoetrope : "Créer un lieu qui soit comme une troupe de théâtre, qui rassemble comédiens et techniciens qui travailleraient à faire de beaux films" ; "révolutionner la technique avec la vidéo pour concevoir une nouvelle façon d'écrire".

Jerry Lewis, son initiateur

Et de poursuivre sur la personne à l'origine technique de son projet qui consistait à connecter plusieurs caméras à un moniteur vidéo : Jerry Lewis ! C'est pendant le tournage en 1961 du Tombeur de ces dames que Coppola remarqua le procédé mis en place par Jerry Lewis - "un artiste que vous aimez bien en France !", précise-t-il – de connection de plusieurs caméras à un magnétoscope. Procédé jamais repris avant Zoetrope. 

Innovateur invétéré, visionnaire, Coppola raconte comment il a conçu et mis en place dans les studios Zoetrope dès la fin des années 70 un Intranet, à partir deux ordinateurs Xerox : "Xerox a inventé l'ordinateur individuel, la souris. Mais comme ils n'avaient pas breveté leurs inventions et préféraient fabriquer des photocopieurs, les Bill Gates et Steve Jobs leur ont piqué  leurs bonnees idées!"

Pas de regret dans cette expérience qui s'est achevée par la mise en vente des studios. S'il lance quelques piques au passage à la Warner, son ennemi juré, qui retira ses billes du projet, il conçoit qu'il n'a pas été assez vigilant sur la partie distribution : "Si on ne contrôle pas la diffusion des films, on ne contrôle pas la production. Or, c'est la seule chose qui ne m'intéressait pas. Je le réalise maintenant".

Foi dans l'avenir du cinéma 

Pas de regret, donc, et une immense foi en l'avenir du cinéma. Pas tant du côté de la 3D - "Elle existait dans les années 50, elle fonctionne bien dans le magnifique Avatar ou dans Hugo Cabret" - que du côté du renouvellement de l'écriture cinématographique, à l'instar du roman : "Il est bien vivant, parce qu'il a été révolutionné par Flaubert, Dostoievski, Joyce, Virginia Wolf ou Alain Robbe-Grillet". 

Autre facteur ajouté par le cinéaste : le mélange du documentaire et de la fiction, à l'instar du film de Sarah Polley, Stories we tell ; dans le processus de drama direct, tel qu'il était pratiqué par les cinéastes de la génération qui l'a précédé, Frankenheimer, Penn ou Lumet. Et qu'il rêve de faire à nouveau. Enfin, concernant Internet, il est réjouissant de voir cet artiste de 76 ans professer une véritable confiance dans ce médium : "Avec Internet, il n’y a plus de différence entre la salle, la télévision et l’ordinateur. C’est fini tout ça. Il n’y a que du cinéma, que le public voit où il veut, quand il veut, sur l’écran de son choix".

Bien sûr, Coppola ne peut pas ne pas rendre hommage à sa propre famille. Et d'insister à maintes reprises sur le fait que 5 générations de Coppola ont travaillé pour le cinéma, de son grand-père Agustino à sa petite-fille Gia. Et, très classe, le cinéaste fait applaudir sa femme Eleonor, assise au premier rang, pour annoncer qu'elle entamera le tournage de son premier long métrage de fiction en mai à Paris. Quant à lui, s'il est resté avare en détails, il a toutefois annoncé qu'il travaillait à un projet de film. 

Gros gâteau

Enfin, après une série de questions du public initiées par Coppola lui-même, où il fut question de Malick - "Un artiste majeur" - de business management, ou de son rôle de mentor pour de nombreux jeunes réalisateurs débutants, il achève sa master class sur une note résolument optimiste à l'égard des jeunes créateurs : "Take anything and make me happy !".

Bref, un cinéaste finalement aux antipodes de  son image de dictateur ou de gourou, qui fait preuve d'une belle lucidité - "J'ai perdu Zoetrope à cause de ma stupidité"-, d'une magnifique foi en l'avenir, et d'un humour sur lui-même inattendu. A l'instar de cette belle anecdote qui concerne encore une fois le tournage du Tombeur de ces dames, de Jerry Lewis – une expérience fondamentale, dans la genèse du cinéaste : "C'était l'anniversaire de Jerry Lewis et il y avait un énorme gâteau. A l’époque, j'avais toujours faim et je regardais ce gâteau avec encore plus d'envie que le tournage et les techniques de Jerry. Quand il a coupé le gâteau, je me suis approché pour faire passer les assiettes aux membres de l’équipe. J’ai fait passer  les assiettes les unes après les autres, et à la fin, il n’y avait plus de gâteau pour moi ! C’est la métaphore de ma vie !" 


Travis Bickle

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