mardi 26 avril 2016

Théo et Hugo dans le même bateau : Paris leur appartient

En salles : Olivier Ducastel et Jacques Martineau, près de vingt ans après Jeanne et le garçon formidable, sous influence Demy (Jacques et Mathieu), reviennent au premier plan, avec Théo et Hugo dans le même bateau, une variation de leur premier film, version gay.

Le film invite le spectateur à sa balader dans un Paris estival nocturne, en compagnie de ses deux protagonistes qui se dévoilent peu à peu au gré d’une partie de cache-cache, prétexte à un jeu de l’amour et d’une mise à nu, dans tous les sens du terme. En renouant avec le meilleur de la Nouvelle vague, les réalisateurs font mouche. Et livrent leur meilleur film depuis Jeanne et le garçon formidable. Car joyeux, audacieux, libéré. Trois raisons de monter dans le bateau d’Hugo et Théo.


Pour son incroyable scène d’ouverture

Depuis L’Inconnu du lac, l’homosexualité masculine n’avait jamais été aussi traitée frontalement. Crûment. Sans fard. Vingt minutes hypnotiques dans le sous-sol d’une boîte gay, où les corps se donnent les uns aux autres sans retenue. Sans ambiguïté. Mélange sensoriel dans lequel deux hommes vont se reconnaître, s’aimer, faire l’amour sans retenue, Hugo et Théo. Gaspar Noé peut aller se rhabiller : outre sa crudité et son absence de complaisance, la scène de sexe inaugurale invite à une immersion dans les mystères et la violence du désir : pas de gros plans ou d’inserts, comme dans un quelconque porno, mais de longs plans-séquences hypnotiques sur fond de techno, et d’une photographie flashy, dominée par les tonalités rouges et bleues. Pour un résultat, tonique, joyeux, presque libérateur pour ses protagonistes. Une scène d’anthologie, qui rappelle par sa force et son immersion le coït prologue de 37,2 le matin. Et qui impose son tempo et son impulsion à tout le récit. Que vous soyez gay ou pas, une scène d’anthologie qui à elle seule justifie de voir le film.


Pour sa narration live
De 4 heures du matin au petit jour, naissance d’un couple sur fond de sida et de test HIV. Attention : ici, pas de place pour le pathos ou le drame, juste la prise en compte d’une donnée qui hante nos sexualités. Et qui donne lieu à la peinture d’une sexualité joyeuse. Et à celle d’un milieu hospitalier bienveillant. Et ce récit d’une naissance d’un amour au temps du sida rappelle aussi bien Eric Rohmer, pour son côté affecté et le jeu parfois un peu faux des deux acteurs par ailleurs irréprochables dans leur implication, Geoffrey Couët et François Nambot ; Jacques Rivette, pour son côté ludique et jeu de cache-cache avec la ville et le désir, et auquel le titre rend explicitement hommage, rappelant Céline et Julie sont dans un bateau ; Agnès Varda, pour son côté Cléo de 5 à 7 et son jeu avec la temporalité du temps réel, la narration se déroulant le temps d’une matinée entre 4 et 8 heures du matin.

Pour son économie pirate
Inutile de dire que son sujet comme son traitement n’étaient pas destinés aux circuits de financement classiques. D’où une liberté que se sont octroyés les réalisateurs et qui les a libérés d’un certain nombre de contraintes scénaristiques ou formelles qui empêchaient leurs derniers films de prendre la dimension qu’on attendait d’eux – je pense notamment à leur saga sur mai 68, Nés en 68, très en deça des attentes qu’on pouvait y mettre. D’où un affranchissement formel libérateur qui leur permet d’offrir cette scène inaugurale d’anthologie, mais également de fureter dans un Paris qu’on voit rarement à l’écran, celui de l’Est parisien, depuis endeuillé par les attentats de novembre 2015 et déjà marqués par l’actualité – on y croise un réfugié syrien, on y déambule place de la République ou devant le Carillon.

D’où la peinture très riche et comme prise sur le vif d’un Paris qui s’éveille, composé de ses travailleurs nocturnes, ses infirmiers, ses épaves nocturnes, ses femmes de ménages qui s’apprêtent à prendre leur service dans les palaces parisiens. Hommage à la photo de Manuel Marmier, qui est parvenue à restituer le Paris nocturne, parfois vide et mystérieux, hanté par quelques présences diffuses, éclairé par le mobilier urbain ou quelques enseignes éclairées toute la nuit. Contraintes formelles extrêmement fructueuses et décisives à la réussite plastique du film.

Travis Bickle

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