jeudi 22 septembre 2016

Fred Cavayé : "La narration des séries influence le cinéma" - #Cineblogywood10ans

Artistes : Cineblogywood fête ses dix ans. L'occasion parfaite pour demander à Fred Cavayé de revenir sur une décennie de cinéma et de séries. Le réalisateur de Radin !, qui sort le 28 septembre, a été passionné, passionnant et généreux dans l'échange. Où il est question de scénarios, de grosses prods américaines et de petites comédies françaises, de plaisir et de jalousie, de Christopher Nolan et de Pierre Granier-Deferre.



Cineblogywood : Quels sont les films marquants de ces dix dernières années ? Et les pires ?
Fred Cavayé : Je sais que ce je vais me mettre une balle dans le pied mais ce qui m’a marqué le plus depuis dix ans, ce ne sont pas les films mais les séries. Que ce soit en termes de narration ou d’intérêt en tant que spectateur. Le système de narration développée pour les séries a influencé et continuera d’influencer l’écriture des films. Aujourd’hui, les scénaristes de cinéma n’écrivent plus pareil.
Mais pour revenir à votre question, même si cela va à l’encontre de ce que je viens de dire, il y a eu tellement de films marquants depuis 2006… Les films de Nolan, Gravity… Interstellar, j’ai adoré ! Des gens ont dit : "Scientifiquement, ce n’est pas possible", je m’en fous, moi, je l’ai vu trois fois ! Ce sont des purs films d’émotion, qui sont tout aussi louables que les films qui touchent davantage à l’intellect. Ce sont des chefs-d’œuvre de réalisation également. En les regardant, j’ai pris une grosse claque comme lorsque j’ai découvert E.T. à l’âge de sept ans.
Quant aux repoussoirs, ce n’est pas de la langue de bois mais je n’en ai pas qui me viennent spontanément à l’esprit… Et puis tout dépend du ressenti de chacun, du moment où on voit un film. Par exemple, je n’avais pas vu The Revenant. Des amis m’avaient dit que c’était vachement bien, d’autres que c’était parfois un peu long. Du coup, je savais qu’il y aurait des moments disons, un peu plus contemplatifs. Ce qui fait que je n’ai pas été déçu par le film, au contraire.

Quelles sont les séries qu'il faut impérativement avoir vues depuis 2006 ? Et celle qu’il faut éviter de voir ?
La série que j’adore, c’est The Walking Dead. L’idée de départ est simple mais c’est tellement brillant sur la manière de faire évoluer les personnages et de tenir en haleine le spectateur. On m’avait dit que la saison 6 se terminait sur une fin ouverte, je n’étais pas emballé mais quand je l’ai vue, je me suis demandé comment j’allais tenir pendant dix mois jusqu’à la saison suivante ! Je pourrais aussi parler de Fargo, dont la qualité de l’écriture est énorme. Cela fait longtemps que l’on n’a pas vu ça dans des films. C’est le genre de séries qui vous laissent juste sur le cul. Il y aussi The Leftovers, une série intelligente avec un postulat original. Quand je l’ai découverte, je me suis dit : "La vache, les enculés, comme ils sont bons !". Finalement, c’est très égocentrique, ce sont des séries qui me rendent jaloux (rire).


Et cette technique d’écriture propre aux séries, est-ce que cela influence aussi votre manière d’écrire pour le cinéma, comme vous l’évoquiez ?
Oui, forcément. Sur le rythme, déjà. Dans les séries, une séquence amène celle d’après, il n’y a pas de temps mort. Au cinéma, le public attend désormais la même chose.

Vous avez réalisé Radin !, qui sort le 28 septembre prochain. Or, ce qui rapproche le thriller, un genre dans lequel vous vous êtes illustré, de la comédie, c’est bien le rythme...
Oui, j’ai toujours eu l’obsession du gras. Je ne veux pas que le spectateur s’ennuie quinze secondes. Les séries ont augmenté chez moi cette recherche de... de...

L’efficacité !
Oui, c’est ça, de l’efficacité mais dans le bon sens du terme. Je veux que les spectateurs prennent du plaisir. Les séries m’influencent aussi dans la gestion des caractères secondaires. Je ne fais pas des films dont l’histoire tourne autour d’un héros. Les personnages sont ballotés par l’histoire.




Quels sont les succès les plus immérités et les échecs les plus injustes de ces dix dernières années ?
Malheureusement, tous les mercredis, il y a des films qui mériteraient d’avoir plus de succès. Alors vous dire comme ça… Ah si, tiens, un film avec des gosses sorti récemment... (il réfléchit) Le Nouveau ! A priori, ce n’était pas mon genre de film mais j’ai vraiment aimé. Sur un sujet qu’on voit fréquemment au cinéma – les gosses à l’école -, il y a des personnages qui sortent de l’ordinaire. La direction d’acteur est très bien, la mise en scène aussi. J’ai dit à mes amis : "Putain, c’est vachement bien !". Et pourtant, c’est très loin d’un mec qui court pour sauver sa femme (rire) !




Quel a été le talent qui a changé la donne depuis dix ans aux Etats-Unis ou en France ?
Les scénaristes de série aux States. Sinon, en France, il y a des gens de grand talent, comme Pierre Niney ou Omar Sy, mais on manque de quadra sur lesquels on peut monter un film. Je suis très fan de Gilles Lellouche, avec qui j’ai travaillé, mais il n’y en a que trois dans sa génération. Le cinéma français manque également de beaux rôles de femmes.

Et les réalisateurs ? Vous avez évoqué Nolan, Cuaron, Iñarritu...
Oui, bien sûr, ce sont des cinéastes brillants car ils ne font pas de l’esbroufe. Leurs mouvements de caméra sont compliqués mais ils sont toujours au service de la narration. J’ai regardé cinq fois The Revenant, je ne sais pas comment ils ont réalisé certaines séquences. Il y a Olivier Marchal aussi qui, avec 36 Quai des Orfèvres, a relancé le polar. Aujourd’hui, dans ce genre, on a davantage des films d’auteur sur fond de film policier mais on manque de succès populaires. Il faudrait pouvoir relancer le polar.

Quelle est l'actu liée au monde de l'entertainement qui a,  selon vous, eu le plus d'impact depuis 10 ans ?
(Il réfléchit longuement) J’ai l’impression qu’il y a un Marvel qui sort tous les mercredis. Je les confonds tous, ces films avec ces espèces de bandes de machins. Captain America, Capitaine Flam... Bon, si, je sais que ce n’est pas pareil. Il y en a que j’aime bien mais ça ne me fait pas déplacer au cinéma. Sinon, les effets spéciaux sont brillants et ludiques. Face à ça, ce n’est pas évident de trouver un axe intelligent quand on réalise un film d’action et qu’on n’a pas les mêmes moyens !

Quelle est la scène de film ou de série sorti(e) depuis 2006 qui ne vous quitte plus ?
La fin de la saison 1 de The Leftovers. J’ai pris une grosse claque. Et dans Interstellar, la scène où Matthew McConaughey pleure en découvrant le message de sa fille. Je pleure à chaque fois ! Il y en a plein des moments forts depuis dix ans... Mes goûts vont plus vers les films anglo-saxons mais je suis sûr qu’il y a eu plein de scènes magnifiques dans le cinéma français.



Comment voyez-vous le cinéma dans 10 ans ?
Bien car le cinéma est une des rares choses qui n’est pas impactée en période de crise. Il se porte même mieux quand ça va mal. C’est terrible d’ailleurs, je préférerais qu’il se porte bien et que la situation soit meilleure. Sinon, il y a quelques années, certains prédisaient que tous les films seraient désormais tournés en 3D. Et bien non, il n’y en a plus beaucoup en 3D. Même si vous avez de belles images, les spectateurs continueront d’aller au cinéma avant tout pour l’histoire. Je me souviens quand j’ai vu le trailer de Ne le dis à personne, avec le personnage qui reçoit un mail de sa femme morte – je n’avais pas lu le livre –, forcément j’avais super envie d’aller au cinéma pour voir ce qui allait se passer. Je vous parlais de l’essor des séries et de leur influence sur l’écriture des films, la conséquence négative, c’est qu’aujourd’hui, les scénaristes veulent travailler pour la télévision. Or, il faut que les talents continuent de travailler pour le cinéma.

Quel(le) Français(e) obtiendra le prochain Oscar d'ici à 2026 ?
Déjà, le truc fou, plus que les Oscars de Dujardin et Cotillard, c’est l’Oscar du meilleur réalisateur pour un Français. Michel Hazanavicius a même aussi remporté celui du meilleur film, il a fait mieux que Chaplin ! Je le croise régulièrement et à chaque fois, je me dis : "Ouah, il a eu deux Oscars !". Donc quel Français aura un Oscar dans dix ans ? Encore Michel car il sait comment il faut faire, il connaît déjà le chemin. Ou une femme, ça serait pas mal.

Quel est le film que vous rêveriez de voir dans les dix ans à venir ?
En fait, c’est un film qui est en tournage : La promesse de l’aube, que réalisera Eric Barbier [avec Pierre Niney et Charlotte Gainsbourg, NDLR]. Le livre de Romain Gary est réputé inadaptable. C’est un beau projet. Sinon, j’ai hâte de voir L’Odyssée [de Jérôme Salle, avec Lambert Wilson et Pierre Niney, NDLR]. Les images de la bande-annonce sont juste sublimes. C’est courageux de faire un film comme ça, épique, car cela coûte tellement d’argent.

Quel conseil souhaiteriez-vous donner à l'équipe de Cineblogywood et à ses lecteurs pour aborder la prochaine décennie ?
Continuez à aller voir des films en gardant de l’objectivité. Il ne faut jamais perdre son regard premier et son envie première, vous savez, comme le critique gastronomique dans Ratatouille. Un film, ce sont des émotions simples. Il ne faut pas se les gâcher par trop d’analyse. On parlait de cinéastes tout à l’heure. Il y a un metteur en scène qu’on cite rarement et que j’aime beaucoup, c’est Pierre Granier-Deferre. C’est lui qui a réalisé Le Chat, La Veuve Couderc, La Horse… des grands films populaires qu’on prend plaisir à revoir.




Quand j’ai montré Pour Elle pour la première fois à mes producteurs de Fidélité Films, Olivier Delbosc m’a dit : "C’est formidable, on dirait un film du dimanche soir". Et bien, c’est ça mon ambition de metteur en scène, faire des films du dimanche soir. Militons pour le film du dimanche soir qu’on voit au cinéma !
Anderton

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