lundi 3 juillet 2017

Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été : le brûlot d'avant Madonna

En salles : Quand on évoque le cinéma italien, on pense souvent à Dino Risi, Federico Fellini, Ettore Scola, Nanni Moretti, Michelangelo Antonioni – c’est-à-dire des réalisateurs masculins – mais beaucoup plus rarement à des réalisatrices. Pourtant, il y en a au moins deux qui ont retenu l’attention du public et de la critique dans les années 70 : Liliana Cavani, pour son sulfureux Portier de nuit, puis ensuite pour Derrière la porte et La Peau (ainsi qu’un biopic consacré à Saint François d’Assise interprété par Mickey Rourke, resté inédit en salles en France). Et Lina Wertmuller, première réalisatrice italienne à avoir été nommée aux Oscars en 1975, et dont Carlotta a l’excellente idée de rééditer en copie remasterisée un de ses fleurons, totalement oublié aujourd’hui, au titre à rallonge si typique des comédies italiennes des années 70, Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été.

Bréviaire des angoisses des années 70
 
Derrière ce titre à rallonge se cache une satire de la société italienne – mais pas que – des années 70. Lutte des classes, guerres des sexes, machisme, féminisme, capitalisme, marxisme, Occident contre Tiers monde, gâchis industriel, retour à la nature, le film est à lui tout seul un bréviaire des angoisses et interrogations occidentales à l’orée de la crise pétrolière de 1974. En soi, il s’agit là d’un petit document, qui trouve paradoxalement des échos dans le monde d’aujourd’hui. Mais on n’est pas dans Le Désert rouge d’Antonioni : le film se situe dans le registre de la satire. Ce qui permet au dialoguiste de se régaler – nous avec – via de nombreuses joutes verbales absolument réjouissantes, émanant aussi bien du camp des nantis que des laissés pour compte : "Le Christ crucifié est partout, il est pire que le Coca" ou "Brejnev ne boit que du vin froid. Si tu lui sers du vin chaud en Sibérie, tu iras au goulag !".

De la satire à la tragédie en passant par la fable

Ensuite, il faut souligner la force du film. Loin de se contenter de n’être qu’un brûlot, Lina Wertmuller a choisi la forme de la fable satirique pour évoquer ces sujets très sérieux. D’où l’impression de croiser d’abord des nouveaux monstres, avant de s’installer dans un univers à la Marco Ferreri, pour terminer sur des notes tragiques et bouleversantes. L’histoire ? Dans le cadre de la Méditerranée, de riches Milanais voguent sur les côtes sur un superbe voilier, piloté par un équipage d’Italiens du Sud, frustes et pauvres. A la suite d’une panne de moteur, la maîtresse du yacht, Rafaella, et l’un des matelots, Gennarino, échouent sur une île déserte. Commence alors un jeu dominant-dominé, où le sexe, le désir et la passion vont peu à peu remplacer la lutte des classes, l’humiliation et la violence.
 


D’inspiration Marco Ferreri ?

Réalisé en 1974, Vers un destin... ressemble de très près à Liza, de Marco Ferreri, avec Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni. Même situation (un couple échoué sur une île), même volonté de dénoncer les travers du machisme et du marxisme, même discours pessimiste sur le couple, même représentation du couple homme-femme, lui en brun, elle en blond, même tonalité entre fable et conte contemporain.

Mais qui est Lina W ?
 
Enfin, cette réédition a le mérite de remettre le focus sur sa réalisatrice et ses acteurs. Lina Wertmuller, d’abord, née à Rome, de son vrai nom Arcangela Felice Assunta Wertmüller von Elgg Spanol von Braueich, d’origine suisse, a été assistante de Federico Fellini sur Huit et demi, avant d’entamer une carrière florissante comme réalisatrice dans les années 70. Mimi métallo (1972), D’amour et d’anarchie (1973) et Pasqualino (1975) constituant ses œuvres les plus marquantes, cette dernière, sur l’univers carcéral, concourant dans quatre catégories aux Oscars, dont celle de Meilleur réalisateur ! C’est dire l’impact de Lina Wertmuller, dont le style et la volonté de secouer le cocotier des idées reçues et bien-pensantes trouve de singuliers échos aujourd’hui.

Deux acteurs fétiches à redécouvrir

Pour l’accompagner, elle a souvent fait appel à ses deux acteurs fétiches, que l’on retrouve dans Vers un destin... : Mariangela Melato, l’autre blonde du cinéma italien, qui passe de la morgue grand-bourgeoise à la fougue de la passion et au désarroi tragique avec une facilité déconcertante – du grand art. Face à elle, on retrouve Giancarlo Giannini (L’Innocent, le dernier film de Visconti), acteur à tort jugé fadasse, mais qui a souvent fait preuve de discernement dans ses choix, voire d’audace, comme en témoigne sa prestation ici, qui rappelle celle d’un Mastroianni. Il décroche un prix d’interprétation à Cannes en 1973 pour D’amour et d’anarchie, également signé Lina Wertmuller.



Et vint Madonna...

Une redécouverte qui s’impose, à comparer avec A la dérive, le remake qu’en tira Guy Ritchie en 2002, avec sa compagne d’alors, Madonna, et le propre fils de Giancarlo Giannini, dans le rôle jadis joué par son père !  Et qui réside – à juste titre ! - dans des limbes encore plus profondes que le film original, étant donné qu’il sortit techniquement en France. Et signa la séparation du couple à la ville formé par la pop star et le réalisateur britannique.
 
Travis Bickle

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